• ravenstoryRaven Queen, fille de la Méchante Reine, est destinée à donner la pomme empoisonnée à Apple White la fille de Blanche-neige. Mais Raven a un coeur de rebelle et sait au moins une chose... le mal n'est pas son style.

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    Ne touchez jamais le miroir.

    Il était une fois, lors d’une rentrée scolaire, une jeune fille prénommée Raven Queen qui préparait ses bagages. Sur son MirrorPod, elle mit à fond le dernier album de Tailor Quick, dansant et sortant des affaires de son placard pour en remplir sa malle à vêtements. La pile formait un camaïeu de violets et de noirs qu’elle rehaussa grâce à ses sandales argentées. Raven ouvrit la fenêtre de sa chambre. Le soleil se couchait sur la mer de cuivre ; la dernière page de l’été se tournait.

    -     - Hé, Ooglot, s’écria- t-elle alors qu’elle hissait sa malle sur le rebord de sa fenêtre au troisième étage.

    Elle la laissa tomber. Dans la cour, l’ogre de la famille la rattrapa d’une main bleue tout en saluant Raven de l’autre. Elle lui rendit son bonjour.

    Quel super-été. Sans devoirs. Des heures rien qu’à écouter de la musique et à lire des romans d’aventures. Deux jours par semaine, elle avait gardé les jumeaux de Cook – Butternut et Pie – en échange de pâtisseries à volonté. Elle et son père avaient également navigué à bord de leur petit bateau le long de la côte afin de passer une semaine avec Pinocchio et sa fille Cedar Wood. Raven avait adoré prendre le thé avec la Fée aux Cheveux Indigo, jouer aux cartes près du feu et veiller tard en compagnie de Cedar pour des soirées karaoké ou tout simplement rire, au lit, avant de dormir.

    Sages comme des images. Néanmoins, Raven était impatiente de retrouver ses amis à Ever After High pour sa deuxième année de pensionnat.

    Elle s’efforçait d’oublier que son Jour de l’Héritage était dans quelques semaines seulement. Depuis qu’elle avait assisté à la cérémonie en première année, elle avait tout fait pour ne pas y penser. À l’époque, cela lui avait paru si loin.

    Une corne de brume sonna l’heure du dîner.

    Après avoir enfilé un pull, Raven quitta sa chambre. Il faisait froid dans le château des Queen dont les pièces inoccupées étaient bien trop nombreuses pour qu’on se soucie de les chauffer au bois. Du temps où sa mère régnait, le personnel comprenait maints servants, soldats et créatures des ombres. Tous gardaint un œil sur la petite Raven, prêts à rapporter à sa mère le moindre acte de gentillesse de sa part.

    - Raven, disait alors sa mère, Yop le gobelin prétend qu’il t’a surprise à t’excuser auprès d’un rat de lui avoir marché sur la queue. Ce genre de comportement doit cesser !

    - Mais je n’ai pas fait exprès de lui écraser la queue !

    - Je ne parle pas de ça. Mais de t’excuser ! La Méchante Reine ne s’excuse jamais de rien. Tu devrais pourtant le savoir.

    Raven traversa l’imposant vestibule comme si elle pénétrait dans le ventre d’une gigantesque baleine. Au passage, elle tira la langue aux ombres puis glissa le long de la rambarde de l’escalier comme dans son enfance. Ensuite, elle ouvrit grandes les portes de la salle  à manger et annonça

    -         - Je suis là !

    Des années plus tôt, sa mère avait l’habitude de recevoir des centaines de convives à cette table. Ce soir, en revanche, seuls les traditionnels hôtes étaient réunis : elle, son père, Cook et ses deux garçons de quatre ans.

    -         - Raven ! s’exclamèrent Butternut et Pie à l’unisson.

    Tous deux étaient roux, avec des visages ronds comme des tartes.

    -        -  Salut, les Minicooks.

    -        -  Tiens, c’est pour toi.

    Pie poussa une feuille de papier vers le milieu de la table ; Raven observa son portrait composé d’empreintes de doigts à la peinture noire et violette.

    -         - Trop cool. Merci.

    Le père de Raven, le Bon Roi, l’embrassa sur le front lorsqu’elle s’assit près de lui. Sa barbe, coupée ras,  commençait à grisonner tandis que le sommet de son crâne était chauve. À croire que ses cheveux laissaient place à la couronne dorée qu’il prenait rarement la peine de porter. Ses yeux étaient d’un bleu vif, plus soutenu encore quand il souriait – à savoir, souvent.

    -          - Tes valises sont bouclées ? demanda- t-il. N’oublie pas d’emporter un manteau chaud. Et des bottes de pluie. Et un parapluie enchanté.

    -          - Je sais. Et vous, ne restez pas enfermé ici sans moi toute l’année. Cook, vous veillerez à ce qu’il sorte et qu’il aille faire du bateau ou pêcher, s’il vous plaît ?

    -         - Promis. Maintenant, mangeons : j’ai préparé du canard rôti, déclara- t-elle pleine d’espoir en levant le plat.

    -          Je veux juste un sandwich au beurre de petits- pois- princesse, déclina Raven qui jouait à cache- cache avec Butternut derrière sa serviette.

    Cook leva les yeux au ciel mais tendit son traditionnel sandwich à la jeune fille.

    — Merci, dit- elle en grimaçant.

    Sa mère, heureusement, n’était pas là pour la réprimander d’être gentille.

    Son père dut le remarquer car il posa une main réconfortante sur son épaule en souriant.

    — Ma viande est froide, se plaignit Butternut.

    — Je peux te la réchauffer, proposa Raven alors qu’elle agitait les doigts pour simuler une incantation imminente.

    — Non ! s’écrièrent Cook et le roi en chœur, bondissant sur leurs jambes.

    Raven éclata de rire.

    — Fiou ! Tu m’as bien eu, dit le roi, une main pressée sur le cœur, avant de se rasseoir.

    Deux ou trois ans plus tôt, Raven avait tenté de réchauffer le repas de son père mais avait, à la place,  enflammé la table de la salle à manger. Elle ne commettrait plus la même erreur. Magie noire +  bonnes intentions = cata assurée.

    Après le clafoutis aux prunes, le Bon Roi déclara :

    — Cook, merci pour ce délicieux repas. Raven, tu as un instant ? demanda-t- il en indiquant la porte

    du menton.

    Le sang de Raven se glaça mais elle sortit tout de même à sa suite.

    Quand ils furent seuls dans le couloir, il murmura :

    — Le moment est venu, Raven. Si tu préfères ne pas . . .

    — Non. Je vais lui parler.

    — Je t’accompagne.

    Raven refusa de la tête. Elle avait quinze ans à présent ; elle était assez grande pour affronter sa mère toute seule.

    Épaules dégagées, elle entama alors, pour la première fois depuis un an, la longue marche jusqu’à l’aile opposée du château où logeait la reine. Les couleurs s’assombrirent sur les murs de lambris foncé et les tapis bordeaux et noir.

    Les portraits semblaient la suivre des yeux : sa mère en train de sourire ou le contraire, son nez en gros plan. Dans un des tableaux, elle faisait un clin d’œil ; dans tous, elle était superbe.

    Les statues de monstres semblaient également baisser les yeux sur Raven. Les tentures froufroutaient, même en l’absence de courants d’air. Des gouttes de sueur froide perlèrent sur le front de Raven.

    Deux gardes en armure reluisante se tenaient devant les portes de l’ancienne chambre de sa mère, brandissant des lances et des baguettes magiques. Ils la saluèrent d’un signe de tête alors qu’elle entrait.

    — N’oubliez pas, lui rappela l’un d’eux : ne touchez le miroir sous aucun prétexte.

    — Je n’ai pas oublié.

    La pièce était envahie de toiles d’araignées si bien qu’on aurait dit que des squelettes l’avaient décorée pour une soirée. Raven se fraya un chemin jusqu’au mur du fond où elle retira le morceau de velours qui recouvrait le miroir. Il lui renvoya son propre reflet : longs cheveux noirs avec des mèches violettes, nez droit et menton saillant. Un spectacle bizarre : elle n’avait pas l’habitude de se regarder dans le miroir, passe- temps préféré de sa mère.

    — Miroir, miroir au mur . . . euh . . . montre- moi ma mère.

    Des étincelles coururent sur sa surface argentée.

    Peu à peu, sa mère apparut dans une combinaison rayée, ses cheveux foncés relevés dans une couronne au sommet de son crâne.

    — Raven, c’est toi  ? Tu es . . . magnifique ! (La

    Méchante Reine éclata de rire.) Avec toi, cette morveuse au teint de porcelaine et aux lèvres rouge sang va en avoir pour son argent !

    Raven dégagea les cheveux coincés derrière son oreille qui tombèrent devant une moitié de son visage.

    — Mère, comment ça va dans la . . . la prison- miroir ?

    — Bah ! Raconte- moi plutôt tous les potins.

    Quelles nouvelles à Ever After  ? Ils ont trouvé un antidote à mon empoisonnement de la folie du Pays des Merveilles ? M’a- t-on imitée en tentant de s’emparer de tous les royaumes ? Ton père est- il toujours aussi pathétique ?

    Raven serra les poings.

    Ne vous moquez pas de mon père ! aurait- elle voulu hurler. Mais elle croisa ce regard sombre dans le miroir et prit une profonde inspiration avant de baisser les yeux. Sa mère avait beau être emprisonnée très loin, elle redoutait malgré tout de lui répondre.

    — Rien de spécial depuis l’année dernière. Ou celle d’avant.

    — Ah ah ! Tu vois ce qui se passe quand je m’absente ? Rien. Je rends la vie plus amusante. Souviens- t’en, ma chérie : ta vie n’est que ce que tu en fais. J’en suis la preuve.

    — Ouais ouais.

    Sa mère avait sans nul doute rendu son enfance intéressante, rapport aux soldats et aux créatures surgissant de l’ombre pour lui siffler dans les oreilles. Les moments précieux que Raven avait partagés avec elle consistaient à s’asseoir sur ses genoux lors de réunions où sa mère et ses généraux échafaudaient des plans de conquête ou de meurtre. Le reste du temps, elle passait des heures dans le laboratoire du donjon, toussant à cause de la fumée, où elle assistait la reine dans la préparation de potions et de sortilèges.

    — Alors, bientôt ton Jour de l’Héritage ? Prête à signer le Livre des légendes et à marcher dans mes pas ?

    Raven haussa les épaules.

    — Tu devrais te réjouir de devenir la prochaine Méchante Reine. Ton héritage est marqué par le pouvoir, le contrôle et les ordres ! Imagine : tu aurais pu naître telle une de ces pauvres princesses forcées de rester enfermées dans leur tour en attendant d’être secourues. Ou, pire, te faire avoir en mordant dans une pomme empoisonnée.

    — Je suppose que je . . . je . . .

    — Quoi  ? Arrête de bégayer. Tiens- toi droite et parle fort comme une reine. Que disais- tu ?

    — Rien, dit- elle en se redressant. C’est sans importance.

    — Ne sois pas si timide, Raven. C’est ta chance de montrer à ces vieux bougres de quelle trempe tu es !

    — D’accord. Je vais essayer, s’engagea- t-elle avec un faible sourire de bonne volonté.

    — Je suis si fière de toi. Comme tu me manques, ma belle chérie ! (La reine leva la main pour la pres-

    ser contre le miroir comme si elle était de l’autre côté d’une fenêtre.) Laisse- moi te toucher.

    La main de Raven s’exécuta, animée d’un semblant de volonté propre. Sa mère l’aimait sincèrement. À sa façon. L’espoir était tel un sirop trop sucré auquel elle rêvait de goûter rien qu’une fois encore. Mais Raven s’interrompit juste avant de toucher la surface lisse. Ce n’était pas la véritable prison- miroir, laquelle était très loin, bien fermée. Seulement sa mère était une sorcière si puissante qu’elle était parfaitement capable de prendre la main de sa fille même à travers un portail de communication.

    — Je vous aime, Mère, mais je ne vous aiderai pas à vous évader.

    L’intéressée plissa les yeux, laissant tomber sa main.

    — Si tu étais aussi vilaine que j’ai essayé de te l’enseigner, tu n’hésiterais pas. Laisse- moi te dire, Raven Queen, que tu me déçois. Peu importe, je te suivrai quand même à distance avec intérêt. Tu as hérité d’un réservoir inépuisable de méchanceté et de pouvoirs à couper le souffle. Ne le gâche pas. (Elle se pencha si près que ses pupilles pourpres occupèrent toute la surface du miroir.) Ensorcelle- les, Raven.

    Celle- ci déglutit, impatiente de s’en aller. Le miroir s’éteignit, mettant fin à leur entretien.  Au lieu du visage de sa mère, Raven vit à nouveau le sien. Leur ressemblance était saisissante.


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